Durant votre prochain séjour à Keur Camape, si vos pas vous mènent à Dakar, comment ne pas vous recommander de visiter le Musée des Civilisations Noires (MCN), musée d’État situé à proximité immédiate de la gare du TER, face à l’entrée du port d’où part notamment la chaloupe vers l’île de Gorée ? Conçu pour mettre en exergue la contribution de l’Afrique au patrimoine mondial culturel et scientifique, le MCN fait partie des « musées ultramodernes » recensés par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy dans leur rapport de 2018 au gouvernement français sur la restitution du patrimoine culturel africain. Car le MCN mérite votre visite.
La genèse du projet
50 ans auront été nécessaires pour que le musée voit le jour après que sa création ait été imaginée par Léopold Sédar Senghor au sortir du premier Festival mondial des arts nègres de 1966. Il faudra en effet attendre le 20 décembre 2011 pour que soit posée la première pierre de l’édifice par Abdoulaye Wade, Président de la République du Sénégal, en présence de l'ambassadeur de Chine au Sénégal. Les travaux véritables, eux, ne débuteront qu'en décembre 2013 pour s’achever deux ans plus tard et être finalement inaugurés le 6 décembre 2018.
Si la vocation précise du lieu fut tardivement déterminée, deux objectifs finirent par émerger des travaux de réflexion alors conduits :
Réaliser un musée qui ne soit ni ethnographique, c'est-à-dire pas uniquement consacré aux arts premiers, ni commémoratif du passé d’esclaves des populations du continent. L'idée était de valoriser plutôt des dimensions culturelles méconnues de l’Afrique, pour que le musée devienne un "outil de développement scientifique, culturel, économique et social couplant technologie et respect des arts et cultures africaines".
Montrer la vitalité de l’ensemble du continent africain à travers "des cultures et civilisations des mondes noirs". Il y avait une volonté de réappropriation de l'histoire culturelle de l'Afrique et de faire du musée un centre culturel avec des espaces d’échanges et de création.
C’est la République populaire de Chine qui a permis la construction du MCN grâce à un financement à hauteur de 20 milliards FCFA (30 millions d’euros). Les choses ne se sont pas faites simplement : il faut dire que les Chinois avaient proposé divers plans architecturaux davantage inspirés de bâtiments traditionnels asiatiques que par l'Afrique, ce qui ne convenait évidemment pas aux autorités sénégalaises. A l'issue de discussions longues et difficiles, un accord fut finalement trouvé : la conception architecturale serait confiée à une équipe sénégalaise, la mise en œuvre étant réalisée par l’Institut d’architecture de Pékin (Beijing Institute of Architectural Design) conjointement avec l’entreprise chinoise Shanghai Construction Group chargée de la réalisation. Ainsi fut fait.
Compétition culturelle ouest africaine
Afin de favoriser la vocation continentale du MCN de Dakar, les pays ouest-africains et frontaliers du Sénégal s'engagèrent à ne pas créer dans l’immédiat de nouveaux musées chez eux. Cette promesse était pour le Sénégal un moyen d’asseoir un peu plus son influence diplomatique et culturelle sur la région, dans le but d’attirer des investisseurs grâce à sa stabilité politique et son activité économique. Mais très vite, certains voisins voulurent limiter l’expansion de l'influence culturelle sénégalaise et certains n'hésitèrent même pas à solliciter... la Chine pour construire chez eux leur musée dédié à l’art contemporain africain.
Il faut dire que la vie culturelle sénégalaise est très riche. L'agenda culturel est ainsi marqué, par exemple, par la biennale de Dakar "Dak’Art" qui promeut la création africaine contemporaine depuis 1990 et rencontre un succès croissant, s’affirmant aujourd’hui comme l’un des événements culturels majeurs en Afrique et dans le monde de l’art contemporain. On trouve aussi des mouvements de création et de réflexion puissants à l’image des Ateliers de la pensée lancés en 2017 et qui, par les débats qu'ils suscitent, contribuent à faire de Dakar un lieu de convergences des expressions culturelles et intellectuelles d’Afrique noire.
La vocation du lieu
Le Musée des Civilisations Noires de Dakar a voulu d'emblée s’inscrire dans une histoire et des dynamiques fortes et complémentaires, qu’elles soient patrimoniales (la question de l’héritage), culturelles (les diverses formes d’expression artistique) ou encore politiques (le fait colonial), la culture étant un fort facteur d'unité nationale au-delà des clivages.
Dans cette perspective, le Musée des Civilisations Noires de Dakar s'est conçu comme unique en son genre au moins sur deux points :
D’abord, il entendait remplir une mission qu’aucune institution dans le monde n’a jamais remplie : celle de conserver, documenter, enrichir et mettre en valeur les patrimoines technologiques, scientifiques et culturels affiliés aux civilisations noires.
Ensuite, ce musée a voulu se positionner comme un espace de commémoration et de reconnaissance de l’apport des civilisations noires au patrimoine universel de l’humanité.
Le bâtiment
Le musée est constitué d'un bâtiment rond inspiré des cases à impluvium de Casamance pour une superficie de 13 785 m2 sur 4 niveaux. Outre les salles d’expositions, il comprend une salle de conférence, un auditorium de 150 places, des locaux administratifs, un atelier de conception des expositions, un espace polyvalent et des réserves.
Plusieurs salles font écho aux habitudes culturelles sénégalaises, tel l’Espace ouvert appelé « pénc » (« place publique » en wolof), composé de gradins et d’un podium pour réaliser des conférences participatives. De la même manière, pour se différencier des conceptions occidentales classiques, les galeries fermées ont laissé place à des espaces de rencontre ouverts à la création, aux performances artistiques et à la médiation culturelle auprès des populations africaines.
Les collections
Le nombre d’œuvres détenues au MCN est de l'ordre de 18 000 couvrant l’histoire culturelle du continent africain mais également tournées vers des œuvres contemporaines : le magazine américain Time a ainsi reconnu le MCN comme l'un des 100 lieux phares à voir dans le monde. A l'entrée du musée, c’est la sculpture géante d’un baobab, réalisée par l’artiste haïtien Édouard Duval-Carrié, qui accueille les visiteurs car le MCN ne veut pas se limiter aux seuls objets africains mais s'ouvrir aux autres cultures.
Les expositions se renouvellent régulièrement au MCN, en particulier avec des collections temporaires destinées à mettre en valeur la pluralité des arts africains, avec la volonté de promouvoir des artistes continentaux surtout connus à l'étranger mais aussi des œuvres d'artistes locaux.
Le retour des œuvres africaines
Le Musée a en outre voulu nouer des partenariats avec différents musées européens pour pallier l'absence de certaines pièces très symboliques dans les collections. Ainsi le sabre d’El Hadj Omar Tall, héros et fondateur de l’Empire toucouleur au XIXème siècle, figure de la résistance face aux conquêtes françaises et membre de la confrérie musulmane des Tidianes.
Cet objet emblématique du chef religieux sénégalais fut pris de force en 1894 par le colonel Louis Archinard ; il était depuis lors exposé avec d’autres épées au Musée des Invalides à Paris. En novembre 2019, lors d’une visite officielle du premier Ministre français Édouard Philippe au Sénégal, la France a ainsi remis au MCN le sabre et annoncé l'enclenchement du processus de restitution définitive, dans la lignée du débat sur la restitution des œuvres d’art africaines et des engagements d'Emmanuel Macron à ce sujet après le rapport Sarr-Savoy.
Cette évolution a été saluée par le ministre sénégalais de la culture. Si les responsables français décident « de restituer définitivement des œuvres, nous trouverons des moyens pour les récupérer », a-t-il précisé. « S’ils ont décidé une autre forme de restitution, dépôt ou prêt, nous sommes disposés à trouver des solutions avec la France », a ajouté M. Coulibaly. Le MCN revendique d'ailleurs le statut de musée moderne où l’on peut maîtriser la température et l’humidité dans chacune des salles, a précisé la direction du Musée.
Propos d'ailleurs confirmés, avec énergie, peu après par le Recteur de l'Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar : « Si ces biens appartiennent aux Africains, de quoi les Occidentaux se mêlent de savoir si l’Afrique sait les garder ou non ? (...) La question est fausse, puisque la réponse est déjà donnée par les Africains qui les ont produits et gardés pendant des siècles dans d’excellentes conditions hors des musées ! ». On voit que le sujet continue de déchainer les passions...
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Œuvres anciennes ou contemporaines le Musée des Civilisations Noires de Dakar attend votre visite lors d'un prochain séjour à Keur Camape.
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